OUI, NOUS ACHETONS DU RAISIN
Le nĂ©goce⊠Vaste rĂ©alitĂ©. De la maison de Champagne au navire Bordelais, lâimage de nĂ©goce est bien souvent assimilĂ©e Ă une seule de ses facettes, celle de la grosse entreprise dâachat et de revente de vins. Mais il y a dâautres visages du nĂ©goce, Ă des Ă©chelles trĂšs diffĂ©rentes : de fait, derriĂšre ce mot, beaucoup de choix sont possibles : achat de vins, achats de jus ou encore⊠achat de raisins.
Pour certains, le fait de vinifier du raisin que lâon nâa pas cultivĂ© soi-mĂȘme revient Ă profiter du travail dâun autre, ou encore Ă avancer Ă lâaveugle. Nous tenons Ă tordre le cou Ă ces deux croyances. Pour nous il est possible de faire du nĂ©goce tout en restant dans un Ă©change vertueux, dans lequel chacun trouve satisfaction. Il nây a pas de rapport de supĂ©rioritĂ©, pas dâexploitant/exploitĂ©, mais bien un Ă©change humain oĂč le travail de chacun est valorisĂ©. LâidĂ©e sous-jacente du second point – avancer Ă lâaveugle – sâappuie de fait sur une rĂ©alitĂ© : le vin commence bien Ă la vigne, et le processus de vinification nâest que la continuitĂ© de cette culture.
Il sâagit donc de connaĂźtre la vigne et son histoire pour ĂȘtre ensuite en mesure de vinifier de façon éclairĂ©e. Câest pourquoi nos partenaires sont des viticulteurs que nous connaissons bien, avec lesquels nous Ă©changeons beaucoup techniquement (et humainement !) et dont nous reconnaissons le travail comme qualitatif et respectueux de notre Ă©thique. Nous sommes au fait de lâidentitĂ© de chaque vigne, de leur passif et de lâhistorique du millĂ©sime.
Il est Ă nos yeux primordial de connaĂźtre le raisin que nous vendangeons, mĂȘme en dehors de nos parcelles.
Tout cela sâest construit Ă©tape aprĂšs Ă©tape, au fil des rencontres et de notre histoire.
Ă LâORIGINE, LE BESOIN DE GRANDIR
Avec lâarrivĂ©e dâEmeline au sein de lâexploitation, il nous fallait repenser notre fonctionnement et restructurer le domaine pour quâil puisse devenir un tandem Ă©quitable. Il Ă©tait aussi temps Ă ce moment lĂ de moderniser lâoutil de production. En effet, le domaine que SĂ©bastien avait repris de ses grands-parents Ă©tait constituĂ© dâune cave creusĂ©e dans le coteau, d’Ă peine 2 hectares de vignes et de matĂ©riel datant des annĂ©es 60. Il nous fallait donc pousser les murs (en fait on a tout Ă©boulĂ©Â !), renouveler le matĂ©riel, mais aussi se doter dâun chai et dâun lieu de stockage. Tout cela reprĂ©sentait beaucoup dâinvestissements, mais nous avions lâenvie chevillĂ©e au corps de transformer lâexistant archaĂŻque en un tout moderne, dynamique et qualitatif tout en restant encrĂ©s dans notre terroir et attachĂ©s Ă nos mĂ©thodes artisanales. Grandir oui, mais pas nâimporte comment !
Pour financer ces projets, plusieurs solutions se prĂ©sentaient Ă nous : crĂ©dit de banque, augmentation de lâactivitĂ©, investisseurs⊠Nous souhaitions rester indĂ©pendants, il nous fallait donc augmenter notre production. Notre situation dâalors ne nous permettant pas de tout mettre en Ćuvre en mĂȘme temps, nous avons fait le choix de reporter lâachat de vignes pour prĂ©fĂ©rer le fermage. Mais face Ă la quasi inexistence de lâoffre locative, lâachat de raisin sâest avĂ©rĂ© une bonne solution complĂ©mentaire. Bien Ă©videmment, cette activitĂ© de nĂ©goce devait rester dans le cadre de nos exigences éthiques et qualitatives : le raisin devait ĂȘtre local, cultivĂ© en bio (certifiĂ© ou non), avec des rendements maĂźtrisĂ©s, et vendangĂ©s Ă la main par nos soins.
ACHETER LE RAISIN « SUR PIED », OU RIEN
Ce choix dâacheter les raisins « sur pieds » et non dĂ©jĂ ramassĂ©s ou pressĂ©s, est pour nous essentiel. Car la vendange est le premier acte de vinification : grĂące au tri, au soin apportĂ© Ă la manipulation des grains, au transport ou encore au stockage du raisin. GrĂące aussi Ă lâapprĂ©hension de la qualitĂ©, qui va ensuite guider les choix opĂ©rĂ©s en cave.
Il ne restait plus quâĂ trouver de bons partenaires, avec qui nous nous comprendrions, techniquement et humainement.
LA RENCONTRE INITIALE : BRUNO RICHARD, VIGNERON DE PĂRE EN FILS
Dans la famille Richard, on est vignerons de pĂšre en fils. Bruno, 44 ans aujourdâhui, nâa jamais imaginĂ© faire autre chose. Il se dĂ©finit lui-mĂȘme comme un grand casanier : il est bien ici, il aime ses vignes, il aime ses terres quâil connaĂźt si bien. Quand il vous emmĂšne dans ses parcelles, il vous montre ce sol, lĂ , plutĂŽt sableux, ou celui-ci, davantage composĂ© dâargile grise. Il vous dit si câest lui, son pĂšre ou son grand-pĂšre qui a plantĂ© tel ou tel pied de vigne. Faire du vin, il aime ça aussi : « Je nâimagine pas une annĂ©e sans une cuve de rouge qui mijote dans ma cave ! »⊠mais Ă toute petite Ă©chelle.
Car ce que Bruno apprĂ©cie le moins, câest la partie commerciale du mĂ©tier de vigneron indĂ©pendant : il nâaime pas vendre son vin, nâest jamais Ă lâaise pour valoriser son travail. DĂ©jĂ son pĂšre avait fait le choix de ne pas vinifier une grande partie de ses jus : il en vendait la majoritĂ© « en vrac », au nĂ©goce.
Aussi, quand nous nous sommes rencontrĂ©s, en 2012, et que nous lui avons demandĂ© sâil Ă©tait intĂ©ressĂ© pour nous vendre une partie de ses raisins, lâadĂ©quation de Bruno Ă notre projet a Ă©tĂ© rapide⊠et naturelle. MĂȘme si cela signifiait quâil allait devoir revoir certaines de ses pratiques.
« Ăa a accĂ©lĂ©rĂ© ma philosophie, et ma conversion » : dĂšs la premiĂšre annĂ©e, et câĂ©tait pour nous une condition sine qua non, Bruno a en effet arrĂȘtĂ© dâutiliser les produits phytosanitaires dont il se servait parfois encore, et a cultivĂ© en bio les parcelles qui nous Ă©taient destinĂ©es. « Tous mes copains sont en bio, dâun coup, ça me permettait de pouvoir moi aussi me joindre Ă leurs discussions techniques. Câest quand mĂȘme plus intĂ©ressant de parler de ce que lâon connaĂźt ».
Un homme rĂ©servĂ©, qui aime la convivialitĂ© intrinsĂšque au vin (il a mĂȘme fait partie pendant des annĂ©es dâun club de dĂ©gustation), mais qui reste, fondamentalement, un homme de lâextĂ©rieur : « Ma saison prĂ©fĂ©rĂ©e câest le printemps. La vigne change presque tous les jours ! »
Aujourdâhui, Bruno a entamĂ© la conversion bio de tout son domaine, ce qui va nous permettre de certifier le nĂ©goce en 2020.
VoilĂ un des volets vertueux du nĂ©goce comme nous le pratiquons : permettre Ă la viticulture bio de gagner du terrain, permettre Ă des vignerons comme Bruno dây venir en confiance et en prenant le temps. Mais ce quâil y a dâencore plus prĂ©cieux dans notre partenariat, câest lâamitiĂ© qui se construit chaque jour entre nous. Et ça, ça nâa pas de prix !
CLAUDE MESNARD, LE NOUVEL ĂQUIPIER DE LA BANDEâŠ
La rencontre avec Claude est arrivĂ©e plus tard : câest en 2017 que nous avons eu Ă©cho de cet espĂšce dâirrĂ©ductible gaulois, qui se revendique « producteur de raisins » et qui, de son plein grĂ©, travaille en bio dans ses vignes depuis 10 ans. MĂȘme si cela signifiait jusque lĂ plus de peine pour peu de reconnaissance.
Mais le travail du sol et le chouchoutage de ses plants, câest sa passion.
Il suffit de regarder ses parcelles : pas besoin dâĂȘtre un expert pour les repĂ©rer trĂšs vite. Elles sont parmi les plus soignĂ©es, et les plus entretenues. Pas un pied manquant, un Ă©co-systĂšme vivant, la terre fraĂźchement retournĂ©e entre les ceps. Câest fascinant de lâĂ©couter vous raconter comment, quand il a commencĂ© Ă travailler la vigne, dans les annĂ©es 1994, il avait le sentiment que ses rangs nâĂ©taient quâun chemin dur et sec, pour passer au tracteur. Et comment, dĂšs quâil loupait un traitement chimique, la maladie dĂ©boulait. Alors il a observĂ©, il sâest formĂ©, en sâinscrivant dĂšs que lâoccasion se prĂ©sentait aux stages sur le bio organisĂ©s par la chambre dâagriculture puis dans des organismes spĂ©cialisĂ©s en agriculture biologique. Le bonheur de retrouver un rapport Ă la terre, à la plante, dâĂȘtre « un jardinier » et non un conducteur de machines.
Faire du vin, ce nâest pas son mĂ©tier, vous explique-t-il dâemblĂ©e. Pourtant, on sent chez Claude une curiositĂ©, tout du moins lâenvie que les fruits de son travail soit accompagnĂ©s jusquâau bout.
Alors, quand on lui a expliqué notre façon de travailler, avec notamment des vendanges à la main et la volonté de ne pas de triturer les raisins, il a senti un véritable écho à ses valeurs et ses convictions. Il nous a donc fallu montrer patte blanche, et partager en toute transparence notre philosophie de la vigne et du vin, pour que Claude accepte de nous rejoindre.
Câest dĂ©sormais chose faite : en 2018, nous vendangerons du chenin et du cabernet franc chez Claude.
Ă LA CROISĂE DES SAVOIRS, LA RICHESSE DES RENCONTRES
Aujourdâhui, 50 % de nos raisins sont issus de ce nĂ©goce, et 50 % de nos propres parcelles.
Depuis dĂ©cembre 2015, nous avons pu embaucher une assistante administrative, Claire – notre « tour de contrĂŽle » ! Nous avons Ă©galement un 2Ăšme ouvrier en apprentissage, Gilles, que nous formons au travail du chai et de la vigne et que nous comptons embaucher une fois diplĂŽmĂ©. Enfin, depuis le millĂ©sime 2016, nous vinifions dans notre toute nouvelle cuverie, bien plus adaptĂ©e Ă nos exigences et Ă nos vins.
Et, au-delĂ de ce projet que nous avons construit patiemment, ce que nous ne soupçonnions pas, ce sont les Ă©changes humains que le nĂ©goce – au sens oĂč nous le rĂ©alisons – permet. Au contact de Bruno et de Claude, nous continuons dâapprendre les uns des autres. Que ce soit sur lâutilisation dâun outil ou une technique de labour, ce choix de travailler avec ces deux viticulteurs est un puissant enrichissement.
LA SUITE : DES PROJETS, TOUJOURS DES PROJETS
Au domaine, les choses ont Ă©tĂ© plus que bousculĂ©es en lâespace dâĂ peine 5 ans.
Ce nouvel Ă©quilibre obtenu grĂące Ă Claude et Bruno et Ă lâagrandissement de lâĂ©quipe au domaine, va nous permettre dâavoir encore plus de temps Ă consacrer Ă nos vignes. Et notamment de remettre en oeuvre une dĂ©marche longtemps mise de cĂŽtĂ© : travailler nos sols au cheval.
Cela exige du temps, quâil fallait pouvoir libĂ©rer pour faire les choses correctement.
Le nĂ©goce, câest aussi ça.